L'Interview
Le "Monde Economique", le magazine des chefs d'entreprise et des décideurs, a interviewé Madame Corinne Sauge, présidence et co-fondatrice du CeRFI, et lui a consacré un article de 3 pages sous forme d'interview dans son magazine.
Nous vous proposons ci-dessous la version intégrale de cette interview.
Ci-contre, une autre interview sous forme de vidéo, diffusée par le "Monde Economique"...
Question 1: délocalisation...
Le Monde Economique:
"Ces dernières années, les entreprises européennes se sont ruées vers la délocalisation de leurs services informatiques. Pensez-vous que nos entreprises ont eu raison de tirer profit de cette opportunité? Si oui, quels sont les risques auxquels elles sont aujourd'hui confrontées?"
Corinne Sauge:
La ruée vers la délocalisation des services
Voici quelques exemples de délocalisation des services informatiques:
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entre 2015 et 2016, UBS va délocaliser dans des pays "low cost" 2'000 emplois informatiques par année;
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en 2004, Shell délocalisait massivement (entre 1'900 et 2'800 personnes) ses services informatiques vers l'Inde;
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en 2001, les délocalisations d'emplois de services touchaient jusqu'à 800'000 salariés qui travaillaient dans les services informatiques en France.
A travers ces exemples, on voit que la délocalisation affecte aussi bien les services que l'industrie, des services qui n'avaient aucune raison d'échapper à ce phénomène.
Pour la radiologie par exemple, l’analyse des radios peut se faire à distance. Il en est de même pour l’informatique, dont certains développements de logiciels, plus ou moins pointus, peuvent être délocalisés dans des pays où la formation est de bonne qualité, et où la main d’œuvre est meilleure marché. Les tâches à "haute valeur ajoutée" de l’informaticien, comme celles du radiologue, sont alors celles qui demandent une certaine proximité avec le client.
Dès que des gains de productivité sont susceptibles d’être exploités et qu’ils priment sur la qualité, la "ruée vers l’or" est difficilement "désamorçable".
Qu’en est-il du support en informatique (Service Desk, Help-Desk), un de ces métiers de l’informatique "facilement" délocalisable?
Si l’on s’en tient à une approche exclusivement financière, basée sur des coûts directement imputables au fonctionnement de ce type de service, la tentation de procéder à une délocalisation est forte.
Toutefois, et comme pour toute externalisation d’une partie de l’entreprise, il est sans aucun doute intéressant d’analyser la valeur ajoutée de ce service. Prendre en considération la contribution d’un tel service à la création des produits ou des services de l’entreprise peut permettre d’éviter des déconvenues certaines.
S’agit-il de délocaliser un centre d’appels dont l’objectif principal est de renvoyer l’appel le plus rapidement possible vers le bon interlocuteur, ou s’agit-il de délocaliser un Service Desk dont l’objectif principal est d’aider les utilisateurs et de résoudre les incidents qu’ils rencontrent, quels qu’ils soient, le plus rapidement possible, et ceci d’une manière autonome?
Les calculs des retours sur investissement de telles opérations montrent encore aujourd'hui que les coûts indirects sont souvent largement sous-estimés (mise en place de moyens supplémentaires pour assurer une continuité de service, notamment vers les niveaux 2, besoins en logistique sous dimensionnés, etc.) et que des pertes en productivité peuvent être conséquentes.
Nos entreprises ont-elles eu raison de tirer profit de cette opportunité?
Certaines entreprises en ont tiré parti, d’autres sont restées sur leur "faim" et sont revenues en arrière, principalement à cause de la qualité, et, par voie de conséquence, d’une certaine altération de la productivité de leurs employés (utilisateurs de l'informatique) qui ne pouvaient plus compter sur un support digne de ce nom ou sur des développements efficients.
Si une part d'externalisation semble inévitable, il est toutefois important pour les entreprises de faire attention à ne pas perdre la "connexion" avec le terrain, avec celles et ceux qui "font tourner" les processus (pour ne pas dire l’entreprise) et qui sont en contact permanent avec les besoins des clients.
Pour le CeRFI, la question n’est pas de "résister" aux délocalisations, mais de jouer sur ses atouts, ceux liés à sa capacité à former et déléguer des ressources locales de proximité, à haute valeur ajoutée, tournées vers le service client.
Quels sont les risques de la délocalisation?
Les risques sont très variés. Dans une première approche, nous pensons souvent à la perte de qualité des services rendus, à la sous-estimation des coûts de mise en œuvre et au dépassement des délais de mise en place. Avec plus de recul, le retour arrière est souvent mal maitrisé, voire au pire non prévu. Les risques encourus par des délocalisations dans des pays soumis à des politiques, voire des règlementations, instables ou contraires à certains principes de l’entreprise sont également courants.
Au-delà de ces aspects, j’aimerais attirer l’attention sur ce qui me paraît être un point fondamental: la perte de nos emplois et du savoir-faire qu’ils représentent.
Nos entreprises sont-elles aussi peu responsables qu’elles préfèrent la productivité comme une fin en soi, au prix de leurs employés, alors que ce sont eux qui contribuent à cette productivité?
J’ai envie de croire en la responsabilité sociale de nos entreprises suisses. Je pense que cette responsabilité se situe au-delà du simple "appât du gain", mais je dois avouer que je me sens quelque fois un peu idéaliste...
Question 2: compétitivité...
Le Monde Economique:
"Si on prend le cas de l'Inde qui bénéficie d'une main d'œuvre très qualifiée et de salaires extrêmement bas, sur quoi une entreprise telle que le CeRFI peut-elle miser pour rester compétitive?"
Corinne Sauge:
Le CeRFI peut miser sur la qualité de ses prestations, et donc de ses collaboratrices et de ses collaborateurs.
La soif de délocalisation de beaucoup d’entreprises a, en effet, été épanchée par des pays en développement proposant une main d’œuvre "pas chère", telle l'Inde.
Pour quel gain? C'est discutable et cela dépend beaucoup de la qualité de la relation entre l’entreprise et le prestataire, sachant que la langue de travail est souvent considérée comme une pierre d’achoppement. D'ailleurs, les Indiens recrutent des ingénieurs francophones!
Plus proche de chez nous, je pense que cela dépend avant tout des valeurs que les conseils d’administration et actionnaires accorderont à l’avenir aux humains!
Les hommes et les femmes travaillant dans nos entreprises font partie intégrante du patrimoine de celles-ci.
Ceci dit, tous les services ne sont pas "délocalisables". Toute entreprise a donc tout intérêt à identifier et renforcer ses services "localisables", car ils constituent de solides avantages comparatifs concurrentiels.
Une entreprise comme le CeRFI peut rester compétitive sur toutes ses activités, car elles ne sont pas facilement "interchangeables".
Dans nos métiers, le support en informatique, la formation ainsi que le développement de logiciels, partager les connaissances est primordial. Or, cette activité particulière ne peut pas être standardisée.
La "connaissance" du client, de son environnement de travail, de sa manière de travailler, de ses processus, de ses spécificités, est intimement liée au capital humain, c'est-à-dire à nos collaboratrices et nos collaborateurs.
Question 3: pénurie d'informaticiens...
Le Monde Economique:
"Le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) a publié l'année dernière un rapport qui fait état d'un manque de personnel qualifié en informatique. Pour combler cette pénurie, la délégation d'informaticiens, telle que vous la pratiquez depuis plusieurs années, peut-elle être une alternative viable?"
Corinne Sauge:
Depuis ses débuts (1998), le CeRFI a formé plus de 200 chargés de support en informatique, le but étant de leur offrir ensuite une mission en clientèle.
A l’époque, le métier du Service Desk n’était pas du tout (re)connu. Aujourd’hui, il l’est un peu plus, mais aucun diplôme officiel de type "ES" ou "HES" ne valorise ce métier. Et pourtant, il y a de quoi faire... Ce métier demande autant des compétences dites "sociales" que techniques.
En effet, un "bon" spécialiste Help-Desk doit:
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être à l’écoute des utilisateurs et des services techniques;
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savoir comprendre autant l’utilisateur "lambda" que le "geek" en informatique;
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savoir résoudre au moins 80% des demandes des utilisateurs;
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être réactif et proactif à la fois;
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être fondamentalement dynamique et calme à la fois;
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s’adapter aux constants changements de l’environnement informatique;
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connaitre les règles du "savoir communiquer".
En fait, le rôle du support va bien plus loin que simplement résoudre les problèmes techniques quand ils se produisent. Le but du Service Desk doit être, rien de moins que de participer à l’amélioration de la productivité des utilisateurs.
Or, si la productivité des employés, en lien avec la qualité de leur travail, est un but en soi, il paraît donc important de tenir compte de leur opinion. Un centre de service professionnel est aussi là pour recenser ces opinions.
Quelle que soit la structure et l’organisation de chacun des centres de support en informatique ("Service Desk"), nous nous devons de leur offrir un support adapté à leurs besoins, tout en cherchant à les orienter vers les bonnes pratiques préconisées par ITIL.
Ces nombreux "Help-Deskeurs" formés au CeRFI, de même que les développeurs que nous formons aussi chez nous avant de les lancer dans le grand bain du monde professionnel, ont tous un point commun, qui fait leur force: ils sont formés en fonction des besoins de leurs futurs clients. Leur formation s'adapte en effet aux innovations et à l'évolution constante des métiers de l'informatique.
Axer notre cursus de formation interne sur le "monde réel des entreprises" est notre façon de répondre au manque d'informaticiens qualifiés. Car des informaticiens, il y en a, mais ils souffrent trop souvent d'un "décalage académique" avec la réalité.
Question 4: cloud computing...
Le Monde Economique:
"Compte tenu des contraintes budgétaires des utilisateurs, le cabinet d'étude de marchés IDC prévoit que c'est surtout le "Cloud Computing" qui va s'imposer ces prochaines années en tant qu'alternative économique. Nos PME sont-elles préparées à ce virage?"
Corinne Sauge:
Pour ma part, je pense, en effet, que le "cloud" est "LA" solution d'avenir pour les PME, mais encore faut-il résoudre la problématique du lieu d'hébergement des données.
En effet, allez dire à un patron de PME, quel que soit son secteur d’activité, que ses données, sensibles ou pas, sont stockées quelque part "dans les nuages"...
Avantage dans ce contexte aux sociétés d’hébergement qui proposeront de telles solutions dans des "nuages" aux couleurs rouge et blanche, de telle sorte que l’aspect sécuritaire soit soumis à la loi sur la protection des données helvétique, un des aspects auxquels beaucoup de sociétés portent une grande importance.
Même si le "Cloud Computing" n’en est qu’à ses balbutiements, cette nouvelle technologie est de plus en plus prisée par les entreprises, puisqu’elle permet un stockage néanmoins plus sécuritaire et qu’elle est tournée vers le Web. Les sociétés de service capables de proposer des prestations vers des applications "cloud" auront probablement plus le vent en poupe que les autres.
Avec l'hébergement des données à distance, on utilise aussi (souvent) les services associés, et, du coup, les avantages sont nombreux:
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plus de serveurs à entreposer quelque part à côté de la machine à café ou dans le bureau de la secrétaire;
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plus de climatisation - qui tombe en panne quand on en a besoin - à faire réparer en urgence pour que les serveurs ne s'arrêtent pas en pleine période caniculaire;
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plus de soucis avec les sauvegardes et les disques externes ou les bandes de sauvegarde à gérer soi-même;
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plus de soucis avec les "restaurations" de données en cas de pépin;
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plus de soucis avec les e-mails qui n'arrivent pas ou les spams qui envahissent les boites aux lettres électroniques: on appelle le support de l'hébergeur, et tout est réglé en 2 coups de cuillère à pot;
- etc.
L'ère du cloud s'annonce aussi inévitable que la révolution numérique de la fin du XXème siècle et que la déferlante d'objets mobiles toujours en cours. Même si les entreprises sont un peu frileuses au début, elles devront tôt ou tard s'adapter. Si cette adaptation peut prendre de longues années dans des multinationales, les PME, par contre, doivent profiter de leur taille et se glisser plus rapidement dans toute nouvelle brèche telle celle du cloud.
Le cloud va dans le sens de l'histoire de l'informatique, une histoire de plus en plus mobile, qui permet à l'utilisateur d’accéder à n'importe quelle "app" depuis n'importe quel support. Et, par "app", on sous-entend aussi tout ce qui est imaginable et qui était lié au poste de travail traditionnel: suite Office, gestionnaire de fichiers, applications métier, etc.
Question 5: mutation et avenir...
Le Monde Economique:
"Entre fusion, acquisition et révolution numérique, votre secteur d'activité est aujourd'hui en pleine mutation. Quel avenir pour les sociétés de service en informatique?"
Corinne Sauge:
Il devrait être "rose" puisque les entreprises sont sans cesse à la recherche de nouveaux professionnels qualifiés pour répondre aux évolutions des technologies, mais, parmi tous les métiers de l’informatique, certains ont probablement plus de chance que d’autres de voir "la vie en rose"...
Concernant les sociétés de service, si elles ne mettent pas en place d'importants moyens de formation continue de leurs collaborateurs, elles seront confrontées aux difficiles recherches de professionnels qualifiés en informatique.
Ce problème est lié au fait que l’informatique est un secteur qui est en perpétuel mouvement et qui évolue à grande vitesse. Ceci a pour conséquence que les besoins des entreprises ne correspondent pas toujours aux compétences des professionnels formés il y a plusieurs années.
En plus de sa position dans le "Top 20 Suisse" des sociétés de service en informatique, le CeRFI s’est toujours engagé en tant qu’entreprise formatrice et responsable, vis-à-vis de cette profession en constante évolution, et de ses collaborateurs pour lesquels un budget de formation conséquent est alloué chaque année.
Se projeter dans l’avenir afin de déterminer quels seront les métiers de l’informatique de demain est certes utile pour toute société de service, mais, le plus utile reste la capacité à former, de manière continue, ses collaborateurs. Le CeRFI est certifié eduQua et agréé ITIL. Cela nous donne une "corde" de plus à notre arc pour faire face à l’avenir, finalement pas si "rose" que cela, car rien n’empêchera les entreprises de grande taille (peut-être moins les PME) de "déléguer" leurs "développements" informatiques à l’étranger, dans des pays où le coût de la main d’œuvre est sans commune mesure avec celui de la Suisse.
On le voit déjà aujourd’hui, et surtout depuis la crise financière, même les sociétés de service les plus "prisées" ont dû revoir leur copie concernant les tarifs de leurs spécialistes en informatique.
Le CeRFI n’est pas épargné, malgré le fait qu’il ait toujours pratiqué des tarifs "raisonnables".
Cela nous oblige à nous concentrer sur nos métiers de base (support, développement et formation) et sur des marchés de niche. La conception de solutions Dynamics CRM, SharePoint et WinDev en est un exemple dans le développement. Dans le support, nous élargissons notre périmètre de services vers des services étendus, comme la prise en charge du support sur des applications métiers, la location de matériel ou encore celle des véhicules de l’entreprise.
Une autre "piste" pour faire face à l’avenir est celle qui permet de concilier la nécessaire formation continue au métier de base de l’informaticien.
Plus la formation de base est importante, plus elle comprend de nombreuses spécialités, plus il est facile de "former, déformer et reformer" sur de nouveaux sujets. Au CeRFI, nous avons constaté, à plusieurs reprises, que les jeunes informaticiens, sans ou avec très peu d’expérience professionnelle, sont encore plus "adaptables" et efficaces que ceux qui ont des années de bouteille et une plus grande résistance au changement.
Dernier point: comme vu précédemment, les sociétés de services qui sauront le mieux se mettre à l'heure du cloud auront un coup d'avance sur les autres.